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Nathalie Gardes
20 février 2013

La confiance dans l'analyse sociologique

 Car il y a dans la confiance qu'un être humain porte à un autre une valeur morale aussi haute que dans le fait de ne pas décevoir cette confiance ; et cette valeur est peut-être même encore plus libre et plus méritoire, car lorsqu'on nous fait confiance, nous sommes presque engagés par un jugement porté sur nous par avance, et il faut déjà être positivement mauvais pour le décevoir ». G. Simmel p.65

 

L'idée de confiance entre les parties est nécessaire à la compréhension des alliances car la rationalité ne permet pas d'interpréter tous les comportements. La confiance sera analysée ici comme le résultat d'une relation à long terme. Pour F. Fukuyama (1994), la confiance entre acteurs économiques est un facteur fondamental de la performance. Celle-ci représente en effet un véritable capital social qui permet de réduire l'incertitude au niveau économique et social. La confiance est donc une question importante qu'il convient d'intégrer à l'analyse des stratégies d'alliance.

 Le rôle de la confiance

 « La vie repose sur mille conditions préalables que l'individu ne peut absolument pas étudier ni vérifier jusque dans leurs fondements, mais qu'il doit accepter de confiance. (...) Nous fondons nos décisions les plus importantes sur un système complexe de représentations dont la plupart supposent la certitude de ne pas être trompé » G. Simmel (1996, p.16). L'analyse de la confiance nous conduira à opérer un clivage entre les analyses qui interprètent la confiance à travers une logique de calcul et d'intérêt et celles, au contraire, qui y voient l'expression d'une réalité sociale et collective non réductible à une simple stratégie de calcul rationnel. Le propos sera ici d'apporter quelques repères sur la confiance et de montrer la place prépondérante qu'elle occupe au sein des modes d'organisation de type coopératif.

 La confiance : une indétermination radicale

Dans une perspective statique, la confiance apparaît comme un actif relationnel, incorporel difficilement évaluable par un marché et un prix. Plus généralement, il s'agit d'un véritable capital social reflétant la capacité des acteurs au sein d'une communauté déterminée à se comporter de manière prévisible, c'est-à-dire correspondant aux anticipations du partenaire sur la base des normes partagées.

 C. Koenig et G. Van Wijk (1992)traitent de la confiance comme un contrat implicite. La confiance est un processus qui met en œuvre des anticipations et obligations entre les deux parties. De façon plus précise, H.B. Thorelli (1986) définit la confiance comme une croyance sur la partie A, que si A ou B rencontrent un problème dans la réalisation de leurs obligations transactionnelles, B peut compter sur ce que ferait A si les ressources de B étaient à la disposition de A. La confiance se traduit donc par une hypothèse sur un comportement futur (C. Koenig et G. Van Wijk, 1992). En ce sens, F. Bidault et J.C. Jarillo (1995, p.113) définissent la confiance « comme la présomption que, en situation d'incertitude, l'autre partie va agir, y compris face à des circonstances imprévues, en fonction de règles de comportement que nous trouvons acceptables ».

 Dire que l'on a confiance, c'est donc se référer à un sentiment fort, une disposition vis-à-vis de l'autre qui nous amène à nous fier à l'autre, c'est-à-dire nous en remettre à son comportement ou à son jugement.« Casson (1997 :118) defines trust as "a warranted belief" that someone else will honour their obligations, not merely because of material incentives but out of moral commitment too » B. Loasby (1999, p.103).C'est donc une attitude morale de reconnaissance de l'autre.

 « L'asymétrie et la réciprocité de l'engagement constituent les deux caractéristiques essentielles et indissociables de la confiance » B. Reynaud (1988, p.1458). D'un point de vue formel X fait confiance à Y pour une action A si et seulement si :

 ·      X s'attend à ce que Y fasse A dans les circonstances qui permettent le déclenchement de A.

 ·      X présuppose qu'il y a une incertitude quant au fait que Y fasse A.

 ·      X met entre parenthèses cette incertitude sans chercher à la mesurer en lui donnant une probabilité, ou à la limiter par l'imposition de contraintes supplémentaires.

 ·      X agit lui-même comme si Y allait faire A dans les circonstances en question.

 Toutes les conditions précédentes s'appliquent à Y.

  La condition 1 met l'accent sur l'anticipation. La condition 2 stipule qu'il n'y a pas de confiance sans incertitude informationnelle ou stratégique sur les intentions ou les compétences de chacun. La condition 3 désigne la délégation. La condition 4 définit la norme de réciprocité qui sous-tend la dynamique de la confiance (B. Reynaud, 1988).

 Selon G. Simmel, c'est sur l'articulation entre le savoir et le non savoir que porte la confiance. « Celui qui sait tout n'a pas besoin de faire confiance, celui qui ne sait rien ne peut raisonnablement même pas faire confiance » G. Simmel (1996, p.22). Elle est une hypothèse sur une conduite future suffisamment solide pour être à la base de l'action. Le rôle de la confiance est donc lié à l'absence de savoir exhaustif sur l'autre.

 La théorie de l'encastrement enlève l'indétermination

 Selon M. Granovetter (1985), les économistes iques et néoiques opèrent avec une conception de l'action humaine atomisée et sous-socialisée. Ils rejettent par hypothèse tout impact de la structure sociale et des relations sociales sur la production, la distribution ou la consommation. A l'inverse, certains économistes et sociologues construisent les influences sociales comme des processus dans lesquels les acteurs acquièrent des coutumes, des habitudes ou des normes qui sont suivies mécaniquement. Pour J. Duesenberry (1960, p.233) « economics is all about how people make choice, sociology is all about how they don't have any choice to make ».

Malgré l'apparent contraste entre la vue sur et sous-socialisée, celles-ci ont pourtant une conception commune de l'action et des décisions réalisées par des acteurs atomisés. « In the undersocialized account, atomization results from narrow utilitarian pursuit of self-interest ; in the oversocialized one, from the fact that the behavioral patterns have been internalized and ongoing social relations thus have only peripheral effects on behavior » M. Granovetter (1985, p.485). Ainsi, dans la conception sur-socialisée, l'atomisation découle de l'internalisation des modèles de comportement. L'attitude individuelle est mécanique une fois que l'on connaît la e sociale de l'individu. L'influence sociale est ici une force extérieure qui altère la façon dont les individus prennent leurs décisions. « Social influences are all contained inside an individual's head, so, in actual decision situations, he or she can de atomized as any Homo economicus, through perhaps with different rules for decisions » M. Granovetter (1985, p.486). Des analyses plus sophistiquées des influences culturelles ont par la suite montré que la culture n'est pas acquise en une seule fois, mais résulte d'un "process" continu, construit et reconstruit fondé sur les interactions entre les personnes. Cependant, même quand les économistes ont pris en compte les relations sociales comme H. Leibenstein (1966), ceux-ci ont invariablement fait abstraction des relations historiques, et de leur position avec les autres relations.

 

Une analyse de l'action humaine nous montre pourtant qu'il faut éviter l'atomisation. Les acteurs ne peuvent se comporter ou décider comme des atomes en dehors d'un contexte social. Leurs actions sont encastrées dans un système de relations sociales continues et concrètes (M. Granovetter, 1985). La connaissance mutuelle des individus et leur appartenance à des réseaux sociaux permettent de lever l'indétermination qui caractérise la confiance.

 

[1]     G. SIMMEL « Secret et sociétés secrètes » Paris, Circé, 1996, 119 pages.

 [2]     F. FUKUYAMA « Trust: The social virtues and the creation of properity » Free Press 1994. Cité par J.C. USUNIER ET P. ROGER « Confiance et performance : le couple Franco-allemand au sein de l'Europe »Finance Contrôle Stratégie, 1999, vol 2, n°1, pp. 91-116.

 

 [3]     G. SIMMEL « Secret et sociétés secrètes » Paris, Circé, 1996, 119 pages.

 

 [4]     G. KOENIG ET G. VAN WIJK « Alliances interentreprises : le rôle de la confiance » Dans A. NOEL «Perspectives en management stratégique » Paris, Economica, 1992, tome I, 441 pages.

 

 [5]     H.B. THORELLI « Networks: between markets and hierarchies » Strategic Management Journal, 1986, vol. 7, pp 37-51.

 

 [6]     F. BIDAULT ; P.Y. GOMEZ ET G. MARION « Confiance entreprise et société » Paris, ESKA, 1995, 218 pages.

 

 [7]     B. LOASBY. « Knowledge, institutions and evolution in economics » London , Routledge, 1999, 168 pages.

 [8]     B. REYNAUD « Les conditions de la confiance, réflexions à partir du rapport salarial » Revue Economique, 1988, vol. 49, n°6, pp. 1455-1472.

 

 [9]     B. REYNAUD «  Les conditions de la confiance, réflexions à partir du rapport salarial » Revue Economique, 1988, vol. 49, n°6, pp. 1455-1472. B. Reynaud définit la confiance comme « une relation de délégation qui est fondée sur une anticipation du comportement du délégataire » page 1458.

 

[10]    G. SIMMEL « Secret et sociétés secrètes » Circé, 1996, 119 pages.

 

 [11]    M. GRANOVETTER « Economic action and social structure: the problem of embeddeness » American Journal of Sociology, 1985, vol. 91, n°3, pp. 481-510.

 

[12]    J. DUESENBERRY comment on « An economic analysis of fertility » In Demographic and Economic Change in developed countries, edited by the Universities-National Bureau Committee for Economic Research. Princeton N.J. Princeton University Press.

[13]    M. GRANOVETTER « Economic action and social structure: the problem of embeddeness » American Journal of Sociology, 1985, vol. 91, n°3, pp. 481-510.

 

[14]    H. LEIBEISTEIN « Allocative efficiency and X efficiency » American Economic Review, 1966, n°56, pp. 392-415.

 

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