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Nathalie Gardes
12 août 2013

Asymétries d'informations et rôle de la confiance

Il est à remarquer que ce que l'on sait d'une personne n'est pas uniquement issu d'une relation duale. Cette relation duale est souvent parasitée par ce qu'on nomme communément la réputation qui n'est rien d'autre qu'une information véhiculée par d'autre, et qui, venant s'ajouter à l'information directement acquise, peut inciter à la confiance ou au contraire à la méfiance. La dynamique de la confiance ne peut en effet se construire que dans une complexité relationnelle associant confiance et méfiance.

 

La théorie des jeux, dans les modèles dits à réputation, repose sur des jeux répétés avec asymétrie de l'information entre les joueurs, où la construction d'une réputation de comportement peut inciter à la coopération (D. Kreps, P. Milgrom, J. Roberts et R. Wilson, 1982). La répétition d'un jeu, un nombre indéterminé de fois, est un moyen qui permet de connaître les règles de comportement de l'autre partie, et de communiquer les règles de représailles afin d'en tirer des anticipations sur les jeux à venir. Dans le cadre d'un jeu, la réputation d'un joueur est constituée de convictions que nourrissent les autres à propos de la stratégie qu'il va utiliser. Ainsi, avoir connaissance de la réputation d'autrui permet d'en savoir un peu sur sa stratégie avant de faire le premier choix (R. Axelrod, 1992). Ceci permet donc de réduire l'asymétrie de l'information et peut se révéler être une base solide pour engendrer la confiance. Dans ce contexte, la confiance accordée sera d'autant plus grande que le joueur n'a pas failli dans le passé.

 

B. Baudry (1995) parle de la répercussion d'un capital bonne réputation. « La réputation représente un stock important de valeur qui peut être détruit par des comportements opportunistes. La réputation est donc une incitation forte à un comportement loyal qui doit produire la confiance » B. Baudry (1995, p.92). Une personne pourra tirer certains bénéfices d'une réputation basée sur un comportement honnête, par exemple en donnant des informations précises et pertinentes ou en agissant de façon responsable. Si l'incertitude pose le problème de la confiance, avoir pour réputation un comportement honnête peut être payant (J. Sobel, 1985).

 

La réputation est un investissement qui impose de renoncer à des gains à court terme pour sauver des coûts futurs. Elle se construit sur le long terme car la tricherie est souvent une pratique couverte, et donc il faut une expérience durable avant que les parties puissent être certaines de la tricherie ou de la non-tricherie d'un agent. Il est ici intéressant de noter, avec R. Wintrobe et A. Breton (1983), que le coût de l'investissement en confiance est à priori moins élevé à l'intérieur d'un groupe homogène. La réputation la plus précieuse paraît être la réputation de patience réciproque : ne jamais être le premier à abandonner, mais toujours réprimander celui qui triche. (P.J. Buckley et M. Casson, 1988).

 

La formation de la confiance supposerait donc des médiations sociales (contrats, réputation…) dont l'efficacité est liée à la création d'un espace qui se distingue du calcul et de l'intérêt. Grâce à ces médiations sociales, de nouvelles logiques sont créées impliquant une analyse du comportement d'autrui différente de la forme stratégique.

 

Pour autant, nous prenons une information généraliste comme la réputation uniquement dans le cas où aucune autre n'est disponible. En raison des asymétries informationnelles, la réputation est un mécanisme fragile pour assurer la confiance. Les individus vont rechercher une information de meilleure qualité. Dans cette optique, l'information sur les affaires réalisées avec une personne va représenter une information riche sur laquelle pourra s'asseoir la confiance.

 

La continuité des relations crée une motivation économique pour être digne de confiance afin de ne pas décourager les transactions futures. Mais au-delà des motivations purement économiques, des relations économiques continues révèlent un contenu social qui apporte une forte attente de confiance et une abstention de comportement opportuniste. On ne doute pas de ce point dans des relations plus intimes qui rendent les attitudes plus prévisibles, évitant ainsi les problèmes de suspicion face à des étrangers. Ainsi, ce sont les relations sociales concrètes qui engendrent la confiance dans la vie économique (M. Granovetter, 1985). La confiance serait générée par l'expérience acquise sur un grand nombre de transactions. L'expérience passée avec le même partenaire est la meilleure information sur laquelle on peut fonder la confiance. Notons que le réseau de relations sociales pénètre dans des degrés divers les différents secteurs de la vie économique laissant la place à l'opportunisme.

 

La réputation une garantie à la confiance

 

D. Kreps (1990) prend l'exemple de deux individus souhaitant coopérer. Deux cas de figure se présentent alors. Soit A fait confiance à B, alors deux types de gains sont associés. Si B triche, il résulte -5 pour A et 10 pour B. Si B respecte, les gains sont de 5 pour chaque partie. Soit A ne fait pas confiance à B, et les gains sont nuls pour chaque partie.

La coopération entre A et B permet la formation d'un état social plus satisfaisant pour tous. A n'entrera dans cette relation que s'il a suffisamment confiance en B. La théorie économique analyse cette situation en supposant que les agents A et B sont parfaitement rationnels : ils vont maximiser leur satisfaction. Dans ce cas, A qui étudie la situation sait que s'il choisit de faire confiance à B, B étant rationnel va tricher. Donc A ne rentrera pas en relation avec B. Le blocage est lié au fait que les individus ne partagent rien si ce n'est le désir de maximiser leur utilité. Pour D. Kreps, l'introduction d'un tiers extérieur permettrait de garantir la confiance. Plusieurs techniques peuvent remplir ce rôle. Le contrat est un exemple, mais le coût trop élevé de la justice rend la solution contractuelle difficile. Dans l'optique du serment, A peut alors faire confiance à B car il est dans l'intérêt de B de respecter. Enfin, dans le cas de la réputation, si on considère un jeu répété, A peut réagir et punir B s'il ne respecte pas ses engagements. Mais le jeu doit être de durée indéterminée sans quoi par « backward induction » le seul équilibre est la défection généralisée. Ainsi, la coopération n'est possible que si le jeu est aléatoire, mais encore faut-il y ajouter le mécanisme de la réputation. La réputation s'affirmerait comme la solution à la question de la confiance.

 


R. AXELROD « Donnant donnant : la théorie du comportement coopératif » Paris, Odile Jacob 1992, 235 pages.

 [3] B.BAUDRY « L'économie des relations interentreprises » Paris, édition La Découverte, 1995, 125 pages.

 [5] R. WINTROBE ET A. BRETON « The organisational structure and productivity » American Economic Review, 1983, vol. 76, n°3, pp. 530-538.

 [6] P.J BUCKLEY ET M. CASSON « A theory of cooperation in international business » MIR, 1988, Special Issue, pp. 19-39.

 [7] Notons que la confiance n'est pas la réputation en ce sens que la confiance existe uniquement entre deux individus. Elle intervient de façon bilatérale alors que la réputation est partagée entre plusieurs personnes (R. Wintrobe et A. Breton, 1983).

 [8] M. GRANOVETTER « Economic action and social structure: the problem of embeddeness » American Journal of Sociology, 1985, vol. 91, n°3, pp. 481-510.

 [9] D. KREPS « Corporate culture ans economic theory » 1990.

 J. SOBEL « A theory of credibility » Review of Economic Studies, 1985, vol. 11, pp. 557-573.

D. KREPS, P. MILGROM, J. ROBERTS ETR. WILSON « Rational cooperation in the finitely repeated prisoner's dilemma » Journal of Economic Theory, 1983, n°27, pp. 245-252.

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